Comment aborder une oeuvre aussi puissante, talentueuse et personnelle que Le magicien de Whitechapel, une nouvelle trilogie de Benn chez Dargaud? Juste les couvertures des deux premiers tomes annoncent quelque chose de gros, de très gros.
À première vue, l’histoire semble des plus ordinaire. On y suit, à Londres, en 1897, Jerrold Piccobello, l’un des magiciens les plus réputés du pays. Malheureusement, les affaires vont très mal pour lui. Plus personne ne veut l’engager et on ne sait pas trop pourquoi. Après avoir passé une autre audition, les dirigeants d’un théâtre lui ont montré encore une fois la porte.
Humilié, il se retrouve, comme par hasard, sur les restes d’un théâtre qui, comme lui, n’est plus que l’ombre de lui-même. En y pénétrant, il nous narre son enfance. C’est dans ce théâtre que sa carrière de magicien a commencé, alors qu’il était encore haut comme trois pommes.
Il nous apprend comment il a rencontré son maitre et comment il l’a perdu tragiquement. Puis, il continue à se confier comme si de rien n’était, juste à temps qu’il rencontre… le diable en personne! Mais l’ange des ténèbres n’est pas là pour lui faire du mal, en tout cas, pas tout de suite. Il lui propose plutôt un pacte. En échange de son âme, Jerrold deviendra immortel.
Puis, dans le second acte, Jerrold se promène, presque main dans la main, avec son nouvel allié. Ensemble, ils vont faire les quatre cents coups. En revanche, l’illusionniste oublie rapidement que Lucifer n’a aucun ami parmi les mortels, seulement des serviteurs. Et ça, il va l’apprendre à la dure.
Entre nostalgie et fantastique
Il n’emprunte jamais la voie de la facilité et, en même temps, son histoire ne nous parait jamais lourde ou tirée par les cheveux. Il y a, bien sûr, des éléments fantastiques, mais ceux-ci sont intégrés au récit avec naturel et élégance. Diable oblige, il y inclut même une dose d’humour noir. Quel farceur!
En même temps, ces deux premiers tomes narrent magnifiquement les aventures d’un homme qui n’a que trop souffert et qui ne croit plus à la vie. À ce propos, le magicien fait parfois penser au personnage de Faust dans la pièce éponyme de Goethe, mais avec un soupçon de malice que n’avait pas l’érudit.
D’ailleurs, le héros du récit s’éloigne bien des clichés dans le domaine. Même s’il est en présence du diable, il n’a pas peur de lui dire la vérité et, surtout, il pense pouvoir le berner. Mais tout comme moi, vous savez probablement que c’est impossible… Cette détermination rend le personnage plus attachant. On en vient presque à s’identifier à lui. Parce qu’on essaierait sûrement de faire la même chose que Jerrold si on avait Belzébuth devant nous…
Si j’ai aimé le scénario de Benn, j’ai adoré son dessin. Sombre, nostalgique, hésitant : il illustre splendidement les états d’âme des protagonistes. Pour mettre en image le diable, le bédéiste n’a pas eu peur de sortir des stéréotypes. C’est très rafraichissant!
Verdict
Ces deux premiers tomes de Le magicien de Whitechapel font partie de mes coups de coeur de cette fin d’année. J’espère seulement que le dernier acte sera à la hauteur de mes attentes. Et je le dis tout de suite, vu la qualité exceptionnelle de ces deux opus, elles sont très élevées!
Le magicien de Whitechapel, acte 1 – Jerrold Piccobello
Benn
64 pages
Dargaud
Cote : 4,75 étoiles sur 5.
Le magicien de Whitechapel, acte 2 – Vivre pour l’éternité
Benn
64 pages
Dargaud
Cote : 4,75 étoiles sur 5.