Justice : Êtes-vous vraiment innocent avant d’être reconnu coupable d’un crime?
Auteur: Daniel CarosellaLeçon d’histoire sur la présomption d’innocence
Être présumé innocent n’est pas un principe qui a toujours existé dans nos cours de justice. On doit cette présomption au juriste italien Cesare Beccaria, qui a jeté les fondements de notre système de justice au 18e siècle dans un traité intitulé Des délits et des peines. Je vous épargne les détails de cet ouvrage (je l’ai lu à l’université et disons que c’est un excellent somnifère), mais il faut savoir que Beccaria a proposé que la présomption d’innocence soit au cÅ“ur du système de justice pénal à une époque où la subjectivité et la corruption empoisonnaient les cours de justice. Beaucoup d’innocents ont été condamnés injustement, souvent sans beaucoup de preuves, et c’est ce que Beccaria voulait contrer en proposant que tout accusé soit présumé innocent jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité soit démontrée hors de tout doute.
Un beau principe théorique, mais faillible dans la pratique
La présomption d’innocence est un beau principe théorique. Faire l’étalage de la preuve contre un accusé afin d’asseoir sans aucun doute sa culpabilité, voilà qui garantit à tout le moins que le juge devant rendre son verdict doive prendre en considération les éléments rendant l’accusé fautif plutôt que de le trouver coupable sans preuves solides. Pourtant, dans la pratique, c’est un principe qui ne fonctionne pas toujours.
Même si je crois fermement qu’une majorité de juges sont impartiaux, la présomption d’innocence est quelque peu incompatible avec la nature humaine. Présumer que quelqu’un soit innocent avant d’entendre la preuve retenue contre lui, c’est faire temporairement fi de son jugement et de ses impressions. C’est laisser de côté ses croyances, ses idées et ce qu’on pense même d’un individu en le regardant le temps que toute la preuve retenue contre luisoit démontrée. Malheureusement, en tant qu’humains, même si nous désirons ardemment être objectifs et impartiaux, il y a plus souvent qu’autrement de la subjectivité dans nos décisions. Ces dernières sont teintées de nos opinions, de notre vécu et de nos convictions. Ce n’est pas un défaut, c’est humain.
De ce fait, même si la présomption d’innocence existe, je ne crois pas qu’elle soit appliquée dans tous les cas. En théorie, on l’instaure dans toutes les causes judiciaires, mais en raison de notre nature humaine, elle n’est pas toujours présente. J’ai été à même de le constater en assistant à plusieurs causes. Simplement en voyant le visage du juge lorsqu’un accusé s’est présenté devant lui, je savais qu’il serait trouvé coupable avant même que le juge n’entende les avocats. C’est encore pire lorsqu’il y a un procès devant jury. Malgré les directives du juge, les opinions et perceptions des jurés teintent inévitablement leur décision.
Le cas particulier des causes médiatiques et des crimes graves
Là où on peut fortement remettre en question la présence de la présomption d’innocence est dans le cas des crimes médiatisés ou particulièrement horribles. Lorsqu’on entend parler de crimes odieux dans les médias, on condamne plus souvent qu’autrement les accusés avant même leur procès et, donc, avant l’étalement de la preuve. Les exemples ne manquent pas pour démontrer cela. Pensons simplement au récent cas de Lucca Rokko Magnotta. Le procès de ce dernier n’aura pas lieu avant septembre 2014 et, jusqu’à ce moment et toujours selon la présomption d’innocence, il est innocent du crime qu’on lui reproche. Or, essayez de trouver quelqu’un qui croit que Magnotta est innocent, vous risquez de chercher longtemps.
Les agressions sexuelles, particulièrement sur des enfants, sont d’autres types de crimes où la présomption d’innocence faille souvent. Lorsque de tels cas viennent aux oreilles des gens, on condamne très souvent les accusés avant qu’un quelconque élément de preuve ne soit entendu. Certes, il y a bien les procès, mais la population s’attend à ce qu’un verdict de culpabilité soit rendu sans quoi, elle criera à l’injustice ou bien elle conservera un doute sur l’innocence réelle de la personne inculpée. Prenons simplement l’affaire Dumont, dans laquelle Michel Dumont a fini par être blanchi de l’agression sexuelle pour laquelle il a été condamné. L’homme est innocent, mais on se demande toujours s’il ne l’a pas réellement fait. C’est la même chose pour n’importe quel autre crime. Dès qu’un élément incriminant est soulevé contre une personne, on conserve toujours un doute sur sa réelle innocence, même si elle a été démontrée en cour. Combien de professeurs se sont faits injustement accusés d’attouchements sur leurs élèves et ont été lynchés sur la place publique sans que leur culpabilité ait jamais été démontrée?
Alors, existe-t-elle la présomption d’innocence?
Oui… mais non. La présomption d’innocence est un beau principe sur papier, mais je crois tout simplement qu’elle n’est pas compatible avec la nature humaine, du moins pas dans la totalité des cas. Pour être dans le milieu de la justice, je peux vous certifier que dès qu’une personne est accusée d’un crime, on conserve dans une majorité de cas des doutes quant à sa réelle innocence, que ce soit avant, pendant ou après son procès. Je crois au système de la justice, mais quand je vois qu’on juge bien souvent avant d’entendre, je ne suis pas toujours convaincu de la présence de ses principes fondamentaux.