Vous avez été plusieurs à me dire avoir apprécié mon point de vue sur le verdict de non-responsabilité criminelle pour causes de troubles mentaux du Dr Guy Turcotte. Un grand merci à vous tous. Savoir qu’on est lu est motivant, mais prendre conscience que nos écrits intéressent plusieurs personnes est très stimulant. Vous avez également été nombreux à me demander de commenter la suite de cette saga, notamment au sujet de la possible remise en liberté du cardiologue déchu. Ce dernier ayant comparu devant la Commission d’examen des troubles mentaux du Québec la semaine passée, voici donc ce qui m’amène à croire que le Dr Turcotte ne recouvrera pas sa liberté prochainement.
Lorsqu’un individu reconnu non-responsable pour cause de troubles mentaux comparaît devant la Commission, il doit faire face à trois professionnels du milieu judiciaire ou des sciences sociales. Il peut s’agir de psychiatriques, d’avocats, de travailleurs sociaux, de psychologues; bref, ces trois individus doivent avoir une formation et une expérience afin d’entendre les comparutions et de prendre des décisions autant professionnelles qu’objectives. Afin de rendre leur jugement, ces spécialistes doivent non seulement prendre en considération les éléments contenus dans le dossier de l’individu, mais aussi les évaluations effectuées à son endroit. La plupart du temps, les trois « juges » basent leurs décisions sur les rapports fournis par les spécialistes chargés d’évaluer la personne comparaissant devant eux.
Lors du passage du Dr Turcotte devant la Commission, c’est surtout l’évaluation du psychiatre traitant le médecin à l’Institut Philippe-Pinel qui a été considérée. En outre, le Dr Pierre Rochette a déclaré qu’il « ne peut se porter garant des sorties seules du Dr Turcotte », ce qui signifie qu’il a des craintes quant au risque que représente Guy Turcotte s’il est remis en liberté. Le Dr Rochette a également affirmé qu’il craint que le cardiologue ne « pète une coche » s’il est une fois de plus confronté à des émotions très intenses et à des situations difficiles. Sans mentionner ce que le Dr Turcotte pourrait faire dans une telle situation, le Dr Rochette s’est montré sceptique quant à la capacité de son patient à faire face adéquatement à ses propres émotions ainsi qu’à des stresseurs sociaux. Rappelons que le Dr Turcotte avait assassiné ses enfants alors que lui et son ex-conjointe étaient en procédure de divorce.
Le rapport du Dr Rochette est intéressant en ce sens que la capacité du Dr Turcotte de faire face à des sources d’anxiété et à ses propres émotions a été un point maintes fois soulevé lors de son procès. En effet, plusieurs évaluations et témoignages ont soulevé la faible capacité de Guy Turcotte à gérer ses émotions adéquatement, notamment lorsque son image et sa réputation sont entachées. Éduqué afin de démontrer une image de perfection, Guy Turcotte aurait beaucoup de difficulté à tolérer l’échec et à gérer ses émotions lorsqu’il fait face à une difficulté. Habitué à démontrer la perfection et à en vivre, il n’aurait pas les habiletés nécessaires pour gérer des émotions très intenses. S’il doit encore faire face à une importante anxiété ou encore être mêlé à une situation entachant sa réputation et la perfection qu’il désire toujours conserver, le risque représenté par le médecin serait important. C’est ce qu’a fait valoir le Dr Rochette lors de la déposition de son rapport et qui laisse croire que Guy Turcotte ne peut, actuellement, recouvrer une pleine liberté.
Aussi, lorsqu’on évalue le risque de dangerosité représenté par un individu, on doit également considérer le point de vue de ce dernier. Ainsi, on doit non seulement considérer ce qu’il pense de la situation, mais aussi déterminer ce qu’il désire faire et comment il y arrivera. Dans le cas de Guy Turcotte, ses plans pour le futur n’ont pour seul but que de refaire son image parfaite ayant été lourdement entachée, voire carrément détruite. En effet, le Dr Turcotte a déclaré qu’il désire de nouveau pratiquer la cardiologie dans une autre province et fonder une famille. Si ces plans sont louables, ils sont également difficilement réalisables. En outre, le cas ayant été fortement médiatisé, il y a fort à parier qu’aucune institution ne voudra employer un médecin ayant reconnu avoir tué ses propres enfants. De plus, fonder une nouvelle famille est-il vraiment réaliste dans le cas du Dr Turcotte? Que fera-t-il si une autre situation extrêmement difficile se présente? Je doute qu’il ait les habiletés nécessaires pour gérer efficacement ses émotions si un tel cas venait à se reproduire, surtout qu’il a refusé de participer activement à des plans de traitement depuis son admission à Pinel. En somme, les plans de Guy Turcotte m’apparaissent irréalistes, comme s’il croyait en une pensée magique, que tout s’effacerait et qu’il pourrait recommencer une vie ailleurs comme si rien ne s’était passé.
Finalement, il y a le risque suicidaire qui demeure bien présent. À plusieurs reprises durant le procès, on a évoqué que le Dr Turcotte présentait un risque suicidaire élevé. De ce que j’en sais, ce risque pourrait toujours être bien présent, notamment parce qu’il a commis une autre tentative de suicide alors qu’il était incarcéré à la prison de Rivière-des-Prairies et qu’il a de la difficulté à gérer ses émotions. Advenant que ses plans ne fonctionnent pas comme prévu, qu’il ne puisse de nouveau pratiquer la médecine et trouver une compagne avec qui il pourrait avoir des enfants, comment réagira-t-il? Comment fera-t-il face à ces échecs? Comment prendra-t-il le fait qu’il ne puisse atteindre cette perfection personnelle obsessive? Le Dr Turcotte n’était pas en mesure de faire face à ces difficultés il y a deux ans et rien n’indique que cela a changé. Certes, je n’ai pas vu ni évalué le médecin, mais l’obstination à ne pas vouloir s’impliquer dans son plan de traitement et le fait qu’il croit pouvoir retrouver une vie comme il avait sans évoquer de difficultés me laissent croire qu’advenant une réalisation de ces échecs, il pourrait tenter de mettre fin à ses jours. La gestion d’émotions intenses s’apprend, elle ne s’acquiert pas comme par magie.
Je l’accorde, on ne peut jamais avoir de certitudes. Parfois, il y a des décisions qui sont prises et qui sont difficiles à expliquer, voire à comprendre. Toutefois, je serais extrêmement surpris que Guy Turcotte recouvre sa liberté, notamment en raison du fait que son psychiatre traitant recommande à la Commission de garder l’homme détenu à Pinel pour au moins un an. La suite des comparutions aura lieu en janvier avec, notamment, les témoignages de deux autres psychiatres à la demande de l’avocat du cardiologue. À suivre.