Qu'on l'appelle le Leonardo de la rondelle sur la palette, le Maestro de la sortie de zone ou le génie de la p'tite-passe-à-la-ligne-bleue-en-avantage-numérique-pour-que-l'autre-fasse-un-slapshot-sur-réception, Andrei Markov reste un homme qui s'exprime avec beaucoup plus d'aisance à l'aide d'une puck et d'un bâton qu'avec des mots. Mais grâce à mon flair et à mon sens de la question qui tue, j'ai pu lui soutirer des révélations fracassantes.
Arrivé chez lui, il m'accueille avec un sourire qui a probablement battu le record Guinness du « sourire le plus neutre en émotion », mais aussi avec une sincère poignée de main. Nous nous sommes installés autour de la table à café du salon, près d'un feu de foyer et d'une plante dans le nom n'est pas important à savoir à ce stade-ci de votre vie.
Moi : Premièrement, bonjour Andrei et merci de m'accueillir dans le confort de ton foyer… ben chez vous, à côté de ton foyer.
Andrei : Hum.
Moi : Oui bon, première question. Quand as-tu su que t'étais né pour passer une rondelle?
Andrei : J'ai commencé par passer des journaux. Pis après sont venues les rondelles.
Moi : Ah et d'après toi, y'a un rapport.
Andrei : Oui.
Moi : … Ah, ben c'est bon. Quel genre d'enfants étais-tu? Faisais-tu des mauvais coups?
Andrei : Des milliers. D'ailleurs, je retiens ta femme en otage en ce moment.
Moi : Hahahaha!
Andrei : …
Moi : C'est une blague, non?
Andrei : J'ai été un enfant tranquille. J'avais des bonnes notes. Je prêtais mes jouets.
Moi : OK, mais pour ma femme, là?
Andrei : Avez-vous une autre question?
Moi : …Euh, oui. Aviez-vous beaucoup d'amis étant enfant?
Andrei : Non.
Moi : Pourquoi selon vous?
Andrei : J'aimais pas la vodka.
Moi : …OK. Dites-moi Andrei, vous avez vécu un traumatisme étant enfant, n'est-ce pas?
Dans un effort quasi surhumain, Andrei fronce les sourcils. J'entends la peau de son front craquer.
Andrei : Qui vous a dit ça? (La sueur perle soudainement sur son front).
Moi : Un de mes informateurs en Russie, appelons-le Ivan Drago.
Andrei : Pourquoi voulez-vous savoir ça? (sa jambe shake)
Moi : Ben pour plusieurs raisons. Pour commencer, ça expliquerait votre côté débordant de joie de vivre. Pis en plus, j'aurais un méga scoop, ce qui aiderait grandement ma carrière.
Andrei penche la tête vers le sol et fixe ses pieds.
Andrei : Je ne peux pas vous le dire. Si jamais cela vient aux oreilles de Réjean Tremblay, il va écrire une autre saison de Lance et compte. Personne ne veut ça.
Moi : Ne vous inquiétez pas. Réjean n'aura jamais la modestie de lire l'article d'un pseudojournaliste qui gagne 100 fois moins que lui.
Le grand numéro 79 se recale dans son fauteuil. Son regard se remplit d'eau. Il semble sur le bord de craquer.
Andrei : J'ai vu mon chat mourir devant mes yeux. Il s'appelait « Le fou ». C'était mon père qui lui avait donné le nom. Il aimait beaucoup les échecs. Un jour que je revenais de l'école, mon chat est descendu dans la rue pour venir me voir. J'aimais ce chat. Beaucoup. Je me suis accroupi, j'ai ouvert les bras et j'ai attendu qu'il me saute dessus. Il s'est mis à courir. Je n'avais pas vu du coin de l'œil le camion de vidange qui s'en venait. Il lui a roulé dessus. Depuis ce jour, je m'en veux.
Moi : Pourquoi? Ce n'est pourtant pas de ta faute.
Andrei : Si, ce l'est. Si je ne lui avais pas montré que je m'étais ennuyé de lui, il n'aurait pas couru et nous aurions vécu beaucoup de beaux moments ensemble. C'est pourquoi je ne montre aucune émotion, jamais. Pour éviter qu'un autre être cher ne meure par ma faute. Et depuis le début de ma carrière, chaque fois que je fais une passe en diagonale en travers de l'enclave, c'est comme pour lui rendre hommage. C'est comme si je recréais la diagonale du fou dans un jeu d'échecs.
Il fondit en larme. De mon côté, je ne savais pas du tout comment réagir, donc je l'ai serré dans mes bras. Nous sommes restés ainsi quelques minutes. Puis, il s'est éloigné et a pris le téléphone.
Andrei : Allô, Sergeï? Oui, tu peux relâcher sa femme.