Habituellement, quand c’est le chaos dans la maison, que mes petites se transforment en tornade, c’est le moment idéal d’enfiler mes caps d’acier et mes écouteurs, d'enlever mon t-shirt et de tirer un bon coup sur la corde pour m’évader dans ce bruit infernal qui m’apparaît soudain si apaisant. J’adore voir ma blonde gesticuler sur le coin du balcon comme s’il n’y avait pas de lendemain pour m’interpeller à propos de je ne sais quoi qui peut assurément attendre. Un simple geste pointant mes oreilles suffit à lui faire comprendre que je ne peux pas lui répondre, puisque je m’affaire à un dossier qu’on ne peut interrompre. Un vrai homme de terrain!
Mais qu’en est-il de ce besoin de répit si je ne peux pas le prendre quand je veux? Il est certain que c’est frustrant de ne pouvoir s’y adonner qu’en certaines périodes prédéterminées. Mais ne trouvez-vous pas que ces périodes respectables pour tondre se voient de plus en plus restreintes dans le jugement populaire? Je m’explique :
« Tiens, je vais tondre le gazon avant d’aller travailler! Ah! ben non, tout d’un coup que je réveille ceux qui travaillent de nuit. Projet remis à plus tard! »
« Tiens, je vais tondre le gazon après mon café du week-end! Ah! ben non, j’ai des voisins qui n’ont pas d’enfants et des ados encore au lit. Projet remis à plus tard! »
« Tiens, je vais tondre le gazon pour digérer mon souper! Ah! ben non, c’est dérangeant pour ceux qui mangent dehors et qui profitent de leur terrasse après une dure journée de labeur. Projet remis à plus tard! »
« La routine des filles pour le dodo est bien entamée, je vais pouvoir m’éclipser. Tiens, je vais tondre mon gazon pour m’éviter l’histoire du soir! Ah! ben non, la marmaille du voisinage est couchée. Les poupons roupillent et les élèves puisent leurs forces. Il y a école demain. Projet remis à plus tard! »
Deux semaines s’écoulent. Le terrain a des allures rappelant vaguement le look de la maison dans La petite maison dans la prairie. On hésite à envoyer les filles jouer dans la cour de peur de les perdre de vue dans la broussaille. « Au moins, je n’ai dérangé personne avec le bruit. »
Cependant, je peux presque deviner ce que traduit le regard de mes voisins quand ils passent devant. J’ai même l’impression qu’ils ralentissent un peu en voiture pour mieux nous identifier et nous juger. Pas question que je m’inflige ce sentiment de paranoïa plus longtemps. Tant pis, je tondrai quand je voudrai, quand je pourrai. Aux cinq jours si ça me chante. Et c’est ce que je fis.
Routine impeccable, terrain digne des plus disciplinés! J’ai même parfois le goût de m’autoriser un selfie de pelouse tellement je me sens bien dans mon nouveau moi-même affirmé du gazon. L’autre jour, mon voisin s’approche tandis que je m’applique au coupe-bordure. Le torse bombé, je m’apprête à lui révéler tous mes secrets de tondeur aguerri :
« Belle journée pour tondre hein!?
– C’est sûr qu’à force de le couper de même, tu vas finir par le brûler! »
Petit rire poli en surface, me disant en moi-même pfffffff!
Bon! Je me fais une raison. J’en ai fini avec ce combat. J’engagerai quelqu’un pour le faire l’an prochain. Ça, c’est bien vu!