Tout comme moi, Carl Therrien est un passionné du jeu vidéo et je l’ai senti dans l’entrevue que j’ai pu réaliser avec lui il y a quelques jours. Voici les propos de ce diplômé en cinéma que j’ai pu recueillir et qui sont non seulement intéressants, mais aussi très instructifs !
AffairesDeGars (ADG) : Bonjour, Carl ! Une toute première question plutôt évidente pour toi : qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à l’histoire du jeu vidéo ?
Carl Therrien (CT) : Bien que j’aie une formation en cinéma, je m’intéresse aux jeux vidéo depuis longtemps. J’ai commencé à jouer aux jeux vidéo à l’époque du Commodore 64 quand j’avais 5 ans ! En fait, je suis spécialisé en jeux vidéo depuis ma maîtrise, soit depuis plus de 10 ans maintenant. J’ai commencé à m’intéresser au phénomène du jeu vidéo durant mes études en cinéma puis, en 2010, j’ai eu la chance d’avoir une subvention postdoctorale afin d’étudier l’histoire du jeu vidéo.
Au fil de mes études, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas beaucoup de colloques dédiés à ce divertissement. J’ai donc voulu monter un événement où nous pourrions plonger dans l’histoire des jeux vidéo car si nous connaissons ces derniers, leur histoire est plutôt méconnue.
ADG : Au niveau de ce colloque, à quels types de conférences pouvons-nous nous attendre ?
CT : Le colloque sera divisé en trois journées et chacune aura sa propre thématique. La première aura pour thème « Raconter l’histoire » et on aura droit à des conférences sur l’histoire de compagnies. Par exemple, certaines firmes européennes viendront raconter leur histoire et ce sera fort intéressant d’ouvrir nos horizons sur leur réalité. Il y aura notamment une compagnie finlandaise qui viendra nous parler des défis propres à leur pays !
La deuxième journée portera le titre « Travailler avec l’histoire ». On y retrouvera des conférences sur la préservation des jeux dans les musées, l’étude des jeux à partir d’objets comme les manuels, les publicités dans les jeux vidéo, la presse spécialisée sur cette industrie depuis des décennies, etc. Plus concrètement, on découvrira comment le musée de New York a intégré Portal 1 à ses expositions et on aura des conférences sur des classiques tels que Maniac Mansion et Dune 2.
Enfin, la troisième journée s’intitulera « Construire l’histoire » et sera probablement la plus populaire du colloque tout simplement parce qu’il s’agira d’un panel avec les légendes John et Brenda Romero ainsi que Warren Spector. Ils parleront de leur expérience ainsi que le rôle que l’industrie doit jouer dans la conceptualisation et la périodisation des jeux vidéo par les historiens. Autrement dit, sur ce que l’industrie doit faire pour instaurer le jeu vidéo au niveau patrimonial. Cette journée se fera sous le format de tables rondes de sorte que le public pourra interagir avec Romero et Spector, ce qui risque d’être très agréable !
ADG : Pourquoi avoir choisi d’organiser ce colloque à Montréal ?
CT : Pour la simple et bonne raison que je désirais réunir les gens de l’industrie montréalaise, les chercheurs universitaires de calibre mondial et le grand public autour du sujet du jeu vidéo. Il faut définitivement se pencher sur le problème de préservation des jeux faisant en sorte que des classiques meurent et vont continuer à mourir et ainsi planifier des actions concertées. Je veux aussi amener le grand public à s’intéresser à l’histoire du jeu vidéo.
Nous avons rencontré certains défis dans la planification de cet événement, notamment au niveau des subventions. Le gouvernement fédéral n’a pas voulu nous accorder de subventions et cela a failli mener à l’annulation du colloque. Fort heureusement, il pourra avoir lieu grâce à de généreux dons de Warner Bros. Games Montréal et ma faculté universitaire. Malgré cela, le fait que le gouvernement ne nous ait pas accordé de subventions fera en sorte que nous ne pourrons pas offrir certains services prévus à l’origine comme la traduction simultanée des conférences, qui seront uniquement données en anglais.
Ce qui m’a surpris est l’intérêt des professionnels pour ce colloque. Sur 12 invités, 1 seul ne pourra venir en raison du manque de subventions. Un conférencier viendra d’ailleurs d’Europe à ses frais parce qu’il désire vraiment participer au colloque ! Nous aurons aussi droit à des personnes qui viendront d’aussi loin que l’Australie et l’Allemagne ! D’ailleurs, petite anecdote : John et Brenda Romero conduiront de la Californie pour venir jusqu’ici puisqu’ils ne prennent jamais l’avion. Il faut quand même le faire ! L’engouement autour de cet événement est vraiment plaisant !
ADG : Qu’espères-tu retirer de ce premier colloque ?
CT : Tu sais, je suis un nouveau professeur à l’Université de Montréal. Moi, je veux ouvrir les horizons des gens, mais surtout amener des personnes d’expérience à Montréal pour me dire comment mieux faire mon travail. Les résultats du colloque seront publiés dans la revue GamesStudy et nous avons bien hâte de les connaître !
ADG : Selon toi, y a-t-il un événement ayant marqué davantage l’histoire du jeu vidéo ?
CT : Eh bien, cela va peut-être te surprendre, mais l’arrivée des flippers (ces petits bouts de métal servant à faire rebondir des billes) a révolutionné le jeu vidéo. Il faut savoir que lorsque les machines à boules ont fait leur apparition dans les bars, la mafia s’en est rapidement emparée puisqu’il y avait de l’argent à faire avec cela. Les gens pariaient sur les scores des joueurs et puisque le tout était aléatoire, les gens misaient et la mafia a vu un beau coup pour faire des sous. Pour contrer les activités de la mafia, le maire de New York de l’époque a tout simplement banni toute forme de divertissement !
Pourquoi est-ce que je te dis cela ? Eh bien parce que le bannissement du divertissement a mené certaines personnes à reprendre le concept des pins des machines à boules pour développer les flippers. C’était très révolutionnaire à l’époque et le développement des flippers a par la suite mené au développement des arcades puis des jeux vidéo. Le but était de concevoir des machines destinées à l’amusement du grand public puisque les machines à boules étaient très chères à l’époque.
Si vous analysez des classiques du jeu vidéo, vous y verrez l’inspiration des flippers. Par exemple, BreakOut reprend ce concept d’une balle entrant en collision avec une surface pour aller dans une certaine direction afin d’aller frapper un obstacle. BreakOut est d’ailleurs à l’origine de Space Invaders, ce classique de 1978. Si vous regardez Space Invaders et BreakOut, les blocs ont simplement été remplacés par de petites créatures. Tout cela, ça n’aurait pas été possible sans l’arrivée du flipper !
ADG : Y a-t-il un jeu ou une série ayant davantage marqué l’histoire du jeu vidéo ?
CT : Aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est un récent jeu qui est, selon moi, une étape marquante du jeu vidéo. Le jeu Journey est une véritable évolution puisqu’il offre réellement la liberté pour explorer le potentiel créatif du jeu vidéo.
ADG : Enfin, sais-tu si les universités et les cégeps comptent élargir leurs programmes ou leurs formations afin d’inclure davantage le jeu vidéo ?
CT : C’est une bonne question. Présentement, il y a une mineure d’un an qui se donne à l’Université de Montréal. C’est intéressant puisqu’elle amène des gens de toutes sortes de disciplines à confronter leurs points de vue particuliers. Cela leur montre aussi en quoi leur domaine d’expertise peut être pertinent au niveau du jeu vidéo. Il y a aussi un cours de scénarisation et un cours sur les genres de jeux qui se donnent en Cinéma à l’UdeM. À l’UQAM, le jeu vidéo est une option à la maîtrise en Communications.
Notre but est clairement de développer un BAC sur le jeu vidéo. Beaucoup de personnes ont écrit leur mémoire de maîtrise sur le jeu vidéo et nous pensons à la façon de faire un BAC complet sur cette discipline. Nous visons aussi à ce que l’industrie du jeu vidéo reconnaisse qu’une formation non-technique soit pertinente pour exercer dans ce domaine. Le jeu vidéo est tellement riche et c’est vraiment dommage de perdre autant de cerveaux qui seraient très utiles à cette industrie !
Un grand merci à Carl Therrien pour son temps ! Vous pouvez vous renseigner à propos du colloque et acheter vos billets en visitant le site ci-bas ! À noter que le prix d’entrée pour le colloque est minime. Les étudiants canadiens peuvent y assister gratuitement tandis que pour le public, le prix d’un billet est de 20$ pour une journée et 40$ pour les trois. Au plaisir de vous y voir !