3e partie (série de quatre chroniques)
Des années plus tard, j’ai réalisé que les hommes qui avaient été mes héros durant toute mon enfance avaient été meurtris par la vie.
Mon oncle Rodolphe avait perdu sa femme et deux de ses enfants (deux sur cinq, la plus vieille à 14 ans et le plus jeune à 1 an) dans un terrible incendie en plein mois de janvier. Comment avait-il réussi à survivre à cette tragédie?
Le « grand Pierre » avait été soldat durant la guerre de 1939-1945. Il a été témoin de monstruosités qu’il n’a jamais racontées. Un silence qui en disait long sur les horreurs qu’il avait vues et vécues.
Mon oncle Patrick avait un handicap physique majeur. Il avait dû choisir entre vivre, survivre ou disparaître. Il avait décidé de vivre. Comment avait-il fait? Il est devenu un homme au cœur infini. Il a été mon père spirituel, celui qui m’a initié aux valeurs humaines.
Ulric, le jumeau de Patrick, était un homme que tous les enfants de la terre auraient voulu avoir comme père. Il avait un cœur d’enfant… mais, malheureusement, un problème de fertilité. Il n’a jamais été père.
Raymond, le plus jeune des cinq frères, avait perdu sa mère à l’âge de 2 ans. La nouvelle conjointe de leur père était cruelle. Il avait subi ses mauvais traitements.
Mon père, orphelin dès sa naissance, n’avait pas grandi avec ses frères et sœurs. Quelles traces en avait-il gardées?
En vieillissant, j’ai constaté que ces hommes s’étaient réfugiés dans le silence et le secret. Ils avaient vécu de profondes blessures et ils s’étaient tous, malgré eux, construits une façade qui masquait leurs peines, leurs désillusions, leurs déceptions ou leurs colères. Ils avaient appris à composer avec l’implacable réalité. C’était mieux ainsi, pour préserver la famille, les enfants, eux qui avaient été orphelins bien trop vite.
Tous les ans, quand mon père nous offrait sa bénédiction du jour de l’An, il devenait tout à l’envers. La seule fois dans l’année où je le voyais aussi vulnérable et fragile. Il avait souvent du mal à retenir ses larmes.
Au fil des ans, j’ai vu ces hommes, ces géants, atteints par la maladie et s’éteindre peu à peu. Mon cœur d’enfant est demeuré inconsolable.
Mabodu le psy