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Les médias sont-ils trop proches des compagnies de jeux vidéo?

Si vous suivez mes chroniques, vous savez maintenant que je couvre les activités de l’industrie du jeu vidéo depuis près de 15 ans. Or, en tant que journaliste et, surtout, joueur de longue date, j’ai toujours une démangeaison dans la région du doute lorsque je vois des médias s’enflammer et louanger un jeu tout juste après sa parution. Dès que je vois une panoplie de 9 sur 10 ou même 10 sur 10 à la fin des critiques d’un jeu ou encore de multiples mentions à l’effet qu’il s’agit « du meilleur jeu jamais créé! », j’ai des doutes quant à la crédibilité de ces notes et de ces affirmations. J’ai trop vu de jeux soi-disant parfaits et dont on s’est rendu compte, quelques mois après leur sortie, qu’ils n’étaient pas si flamboyants que cela. 


Ce qui aide encore moins dans mon cas est que
je sais pertinemment ce que les compagnies et les relationnistes font pour séduire la presse afin que leurs évaluations soient positives. Si je vois ne serait-ce qu’un seul journaliste couvrant l’industrie du jeu vidéo et ayant assisté à au moins un événement ou recevant des produits me dire qu’il n’a jamais été influencé par toutes les petites attentions qu’une firme peut donner à ceux qui donneront de la visibilité à leurs produits, je ne me gênerai aucunement pour lui dire qu’il fait preuve de mauvaise foi, voire d’hypocrisie pure et simple. 

Je ne le nie pas,
mon objectivité a très souvent été mise à rude épreuve par les compagnies et continuera de l’être dans le futur. J’ai connu tous les scénarios de séduction possibles afin que l’on maximise les chances que je parle en bien de tel ou de tel produit. On m’a payé des voyages, donné du matériel promotionnel, invité à des soirées, proposé des entrevues avec des producteurs et permis de jouer parfois des mois à l’avance à des jeux. On m’a même déjà offert des cadeaux en échange de bonnes notes sur des produits! Par exemple, je me rappelle très bien d’un relationniste qui m’avait dit que si je donnais 85 % ou plus à son jeu, il allait m’envoyer un iPod Nano (à l’époque où il était encore très cher et prisé). Malheureusement pour lui, j’ai donné 80 % à son jeu tout en me retenant de dévoiler son stratagème au grand public. 
Mais ce ne sont pas dans ces situations où l’objectivité d’un évaluateur de jeux est la plus attaquée. Non, c’est vraiment lorsqu’on connaît les acteurs de l’industrie qui, à force de les côtoyer, deviennent des amis. Lorsqu’on connaît depuis longtemps les employés d’une compagnie nous supportant sans relâche en nous envoyant tous leurs produits, on ressent toujours un malaise ou un inconfort en écorchant l’un de leurs jeux. 
 

C’est encore pire lorsqu’on connaît les gens ayant oeuvré sur un jeu ou qu’on a pu interviewer durant le processus de création. Je me souviens d’un producteur que j’ai rencontré et qui venait de passer les 18 dernières heures devant son ordinateur à tenter de trouver les derniers bogues de son jeu alors que le deadline de publication approchait à grands pas. Cet homme avait sacrifié sa vie familiale et même sa santé pour mettre son jeu sur le marché à temps. Est-ce que je me sentais mal de dire que son produit était finalement plutôt mauvais? Est-ce que j’avais envie de rehausser mon opinion au sujet du jeu en repensant à l’homme cerné et complètement épuisé que j’avais vu? Absolument, même si je ne l’ai pas fait. 
 

Je ne dis pas qu’il ne faut pas se fier aux critiques de jeux (surtout les miennes!). Ce que je tente de soulever ici est que oui, comme dans n’importe quel milieu, on tente de séduire ceux donnant de la visibilité aux jeux vidéo de multiples façons et il est facile de tomber dans ces pièges. Les efforts des compagnies sont louables et mêmes normales, mais pour un journaliste et évaluateur de jeux consciencieux pensant avant tout qu’il est à cette place grâce à ses lecteurs, cela rajoute indubitablement un défi dont il doit saisir toute la portée lorsqu’il partage ses opinions ainsi que ses impressions. 
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